Une pandémie tragique, mais une expérience extraordinaire
Voilà comment beaucoup traversent cette période, parenthèse dans notre vie où le cours normal de notre existence est suspendu, parallèlement au démarrage d’une introspection acérée, sur les plans fonctionnel, utilitaire et existentiel.
Cela est vrai pour les services de psychiatrie. De manière aussi inédite que soudaine, le corps soignant s’est jeté, avec une énergie galvanisée par les applaudissements, vers une restructuration inédite de son organisation. Fermeture des hôpitaux de jour et des centres d’accueil temporaire à temps partiel, téléconsultation à domicile, redéploiement des agents, constitution de réserves sanitaires. Les deux premières semaines ont été le terrain d’une refonte complète, dans un climat mêlé d’anxiété et d’exaltation, mais également avec une ambiance solidaire et une cohésion vigorifiée face à la menace Covid-19. Si certains semblaient désarçonnés devant la perte de leurs repères, la grande majorité était prête à instantanément balayer toutes leurs habitudes et à déployer des forces insoupçonnables d’adaptation et de créativité en un temps record. Les termes galvaudés
d’immobilisme institutionnel, de résistance au changement, de lenteur administrative se sont vus, en l’espace de quelques heures, totalement démentis. Certes, il y eu quelques ratés et des instructions contradictoires. Peu, compte tenu du bouleversement inouï que nous vivons. Le plus dur après tout juste quelques semaines de recul, était peut-être (et encore) le sentiment de discrimination de la psychiatrie, surtout concernant les protections des agents. Pas de gel, pas de masque, et l’impression
de passer en dernier alors que nous étions pourtant au contact des populations les plus à risque de propagation du virus et de complications. Ceci était particulièrement vrai pour les équipes mobiles qui se rendaient quotidiennement au domicile de patients enfreignant régulièrement les gestes barrières et les consignes de confinement. Ces soignants étant non seulement exposés, mais aussi des vecteurs de transmission auprès des patients, auprès de leurs collègues. Cependant, dans l’effervescence de l’action, l’heure n’était pas au reproche, mais à l’initiative. Le sentiment
d’accomplissement, la vocation renouée de soigner au péril de sa propre sécurité renforçait notre combativité.
Pourtant, après plusieurs jours, un constat étrange s’affirmait : contrairement à toutes les prévisions, l’activité en psychiatrie restait étonnamment réduite. Certes les consultations étaient redoublées, mais prenaient moins de temps au téléphone ou en téléconsultation que d’habitude, les urgences étaient désertes. La fermeture de l’UHCD de psychiatrie, transformée pour l’occasion en unité psychiatrie Covid+, ne s’accompagnait pourtant pas d’une augmentation des admissions dans les
unités d’hospitalisation temps plein qui demeuraient historiquement basses. Les patients eux-mêmes déjouaient beaucoup de nos prédictions. Nombre d’entre eux semblaient impassibles face à cette situation totalement insolite, s’en accommodaient avec résilience et parfois même, facilité. Pénible sentiment de se trouver à côté du combat, parfois usurpateur, alors même que la population nous acclamait. Mais les agents, soignants comme médecins, se sont vite portés volontaires pour aider les
équipes au front, luttant contre le virus. Et puis rapidement, une mission spécifique démarrait, les cellules d’aide psychologique en soutien aux agents directement confrontés aux prises en charge des patients arrivant en réanimation et dans les unités somatiques retransformées.
Après près de 6 semaines de confinement, l’activité en psychiatrie montre des signes de reprise intense, les unités de crises et les équipes mobiles voient leur travail s’amplifier, des situations inquiétantes, dérobées dans le confinement du domicile, émergent et l’énergie des premières semaines s’estompe. Ce sera un combat dans la durée, encore plus en psychiatrie qu’ailleurs. L’issue reste encore largement inconnue, mais une certitude s’est solidement amarrée : le passage du SARS- Cov-2 laissera des traces indélébiles de son passage, pour beaucoup malheureusement meurtrières mais pour certaines favorables.
Pr Eric FAKRA, CHU Saint-Etienne